Jean-Pierre Niot, notre directeur général, était présent à la journée du logement social qui s’est tenue à Nancy le 27 mai dernier ayant pour thème Les HLM logent la France telle qu’elle est.
Interview
Le logement est un préalable à tout
Quand le logement va, le locataire va !
Vous étiez présent à la première édition de la rencontre annuelle du logement social organisée par l’USH, ce 27 mai à Strasbourg. Que retenez-vous de cet événement ?
Ce qui m’a marqué c’est la gravité de la situation. Cette rencontre tombe à point nommé : des échéances majeures tant locale que nationale pointent à l’horizon. Le logement social est au bord d’un point de rupture. La demande explose et pourtant, la production est en recul. Il faut oser le dire : le logement n’est pas seulement une priorité, c’est un préalable à tout. À l’emploi, à la santé, à l’éducation, à la transition écologique. Sans logement, rien ne tient.
En effet, la France fait face à une situation sans précédent : la demande de logements sociaux ne cesse de croître. Fin 2024, elle s’établissait à 2,37 millions de ménages en attente, soit une croissance de 50 % en une décennie, avec une accélération nette en 2025. Selon les données du premier trimestre, plus de 75 000 nouveaux demandeurs nets ont été enregistrés, autant que sur une année entière dans les périodes de hausse précédentes.
Les profils des demandeurs révèlent une précarisation croissante : 50 % sont des personnes seules, souvent avec de faibles revenus, et les jeunes de moins de 30 ans ou les couples sans enfants sont de plus en plus nombreux à solliciter le parc social.
Selon vous, quelles sont les causes structurelles de cette impasse ?
Elles sont bien identifiées : une hausse spectaculaire des coûts de production, un effondrement des subventions, et une pression énorme sur les fonds propres des bailleurs. En six ans, le coût de production d’un logement social a bondi de 140 000 à 180 000 euros. Et dans le même temps, la part des subventions est passée de 20 % à 7 %. On nous demande de faire plus, avec moins. Le paradoxe : on investit davantage, les montants engagés se relèvent pour une production de logements moindre.
Face à cette explosion de la demande, l’offre peine à suivre. Moins de 380 000 attributions ont été réalisées en 2024, en raison notamment de la baisse des rotations, passées de 12 % à 7 % en 20 ans, et du repli de la construction neuve, qui stagne autour de 72 000 logements livrés sur le dernier exercice.
Le parc social est par ailleurs vétuste : 40 % des logements ont été construits avant 1970. Et il est inadapté à la demande actuelle, majoritairement tournée vers des petits formats, alors que la majorité des logements existants sont de grands appartements.
Le financement du logement social repose sur un mécanisme original, fondé sur l’épargne du Livret A sur le temps long, on emprunte pour 50 voire 60 ans, le tout centralisé par la Banque des Territoires. Ce système garantit une liquidité sans limite pour les bailleurs sociaux, à des taux très attractifs.
Mais en 18 mois, avec le redémarrage de l’économie mondiale à la suite du COVID et les tensions liées à l’invasion de L’Ukraine, le taux du Livret A est passé de 0,5 % à 3 %, alourdissant brutalement le coût de l’argent, dans une situation comparable à celle du choc pétrolier des années 1970. Cette hausse du taux pèse lourdement sur les bailleurs, qui doivent arbitrer entre production neuve et rénovation énergétique.
Certaines critiques estiment que les bailleurs sociaux ne remplissent plus leur mission. Qu’en pensez-vous ?
Il faut remettre les choses à leur juste place. Un bailleur social n’invente pas ses locataires. Il loge les ménages de notre pays aux revenus modestes, très modestes, qu’ils soient salariés, retraités, en emploi ou bénéficiaires de la solidarité nationale. Si demain, tous les ménages devenaient pleinement solvables, les bailleurs sociaux s’effaceraient naturellement.
Faire du logement social un responsable de nos maux, c’est faire le procès de la réalité sociale de la France. Ce que nous faisons, c’est simplement refléter cette réalité. Le miroir du logement social ne ment pas.
Faut-il changer de modèle ? Ou de méthode ?
Il faut sans doute les deux. Le modèle peut encore tenir, mais à condition d’être réarmé financièrement. Il faut un nouveau pacte, avec des engagements clairs de l’État, des collectivités, d’Action Logement. Les ventes HLM, les démolitions, les opérations de transformation urbaine sont utiles, mais elles ne suffisent pas si le stock diminue et la demande augmente.
Et puis l’Etat et les territoires doivent travailler de concert. La politique publique du logement demande une vision conjointe nationale et locale avec une déclinaison en dentelle ajustée à la diversité des territoires. Les financements ne peuvent être que croisés. La participation des entreprises à l’effort de construction doit être demain mieux répartie entre les acteurs du logement social. Aujourd’hui, on observe une vraie asymétrie. Certains territoires sont moteurs, d’autres complètement figés. On ne peut pas faire reposer la dynamique du logement sur les seuls bailleurs aux ressources disparates. Il importe que tant l’Etat en local que les élus prennent leur part non seulement en dictant le chemin, mais en participant au tour de table financier de façon significative.
Vous êtes repartis de cette journée avec quels enseignements pour l’avenir proche ?
Le logement social n’est pas un fardeau, c’est un levier. Les comptes publics montrent que le logement génère plus de 80 milliards de recettes annuelles pour une dépense de 40. Le logement ne coûte pas il enrichit. C’est un levier de stabilité, de transition énergétique, de cohésion sociale. Il mérite une ambition politique forte.
Surtout, il faut arrêter de considérer le logement comme un privilège. Et s’il est devenu un luxe, alors ce n’est pas un luxe social mais bien un luxe vital.
Enfin, une bonne nouvelle est à retenir : avec la désinflation en cours et une politique monétaire européenne plus souple, le taux du Livret A devrait chuter à 1,7 % dès le 1er août, redonnant au modèle sa dimension compétitive. J’ai retenu le propos encourageant de Kosta Kastrinidi, directeur des prêts à la Banque des Territoires, « le modèle retrouve tout son sens : offrir une ressource stable, bon marché, sans risque de réorientation vers d’autres secteurs. »
Et puis, pour nous les OPH, s’annonce, par suite de la décision du 5 avril dernier du Tribunal Administratif de Paris, un avenir possiblement meilleur d’un point de vue financier grâce à la démarche salutaire de notre Fédération qui devrait se traduire par un meilleur partage de la Participation des Employeurs à l’Effort de Construction entre toutes les familles du logement social.
Quoi qu’il en soit, sans un réinvestissement massif, le risque de paralysie du logement social demeure entier. La France des propriétaires ne peut être une fin en soi, déjà 57% le sont. Qu’adviendrait-il d’ailleurs ne serait-ce que des 2,8 millions de propriétaires bailleurs individuels qui comptent sur ces loyers pour compléter leur niveau de retraite ? Derrière ces chiffres, ce sont 10 millions de locataires, dont un tiers sous le seuil de pauvreté, qui dépendent du logement social comme dernier rempart contre l’exclusion sans oublier toutes celles et tous ceux qui se trouvent derrière la porte. Agir pour rendre les logements abordables, privés comme sociaux, il le faut, car quand le logement va, le locataire va ; et la France se grandira !
Jean-Pierre Niot 29 mai 2025